Combien de fois sur le net nous voyons des références à Montessori associées au vocabulaire du jeu : Jouer avec Montessori, Montessori en s’amusant, jouets Montessori. J’apprends en jouant avec Montessori… et la liste est longue.
Cet angle de vue sur l’oeuvre de Maria Montessori, nous amène à nous poser des questions car le vocabulaire attaché au jeu apparait assez peu dans ses écrits.
Certes, elle évoque le jeu et si elle le considère comme un élément important de la vie de l’enfant, c’est parce qu’il contribue à son développement. Lorsque l’enfant joue, il utilise sa motricité, reçoit l’information grâce à ses sens, réfléchit, agit, établit des relations avec les autres… Et plus il joue, plus il mobilise ses aptitudes et plus il les développe comme un sportif à l’entrainement augmente ses capacités.
Mais la pédagogie de Maria Montessori est-elle une pédagogie par le jeu ?
Rappelons-nous tout d’abord son propre cheminement.
A l’issue de ses études de médecine, c’est d’abord auprès d’enfants déficients mentaux qu’elle a commencé sa carrière. Dans l’Italie de la toute fin du 19e siècle, à l’encontre des idées de l’époque, elle a fait le pari qu’elle pourrait aider ces enfants à apprendre. Pour cela, du fait de leurs difficultés spécifiques d’apprentissage, elle a dû rechercher la meilleure approche au cas par cas et de façon empirique . Elle s’est tout d’abord inspirée des travaux des français Itard et Seguin à qui elle doit plusieurs outils emblématiques ainsi que beaucoup d’inspiration.
Devant la grande difficulté de ces enfants handicapés face à l’abstraction, elle a utilisé ou créé des objets qui, par la manipulation, leur permettraient de découvrir un concept ou de développer une aptitude. Par une démarche scientifique faite d’observation, d’analyse et d’adaptations elle a utilisé ou conçu des outils ajustés pour chaque objectif. C’est cette approche patiente et rigoureuse qui a fait le succès de son travail auprès de ces enfants puis, après transposition et adaptation, auprès des enfants non handicapés.
La pédagogie de Maria Montessori repose donc sur un matériel unique, conçu et dessiné avec soin et précision. Mais pour que ce matériel donne toute sa mesure, il faut aussi un environnement et un contexte qui font expressément partie de la démarche. Chaque matériel doit être introduit par l’éducateur d’une manière précise qui permet à l’enfant de mieux l’explorer et ainsi de mieux intégrer le concept visé. Au delà de cette « manipulation de base » qu’aura présentée l’éducateur, l’enfant pourra poursuivre l’exploration au gré de son besoin et de sa curiosité.
Sous cet éclairage, peut-on parler de jeu ?
La pédagogie Montessori est très méthodique et place l’enfant dans un contexte (l’environnement préparé) qui est pensé, non pas pour l’amuser, pour le distraire ou le faire jouer, mais pour lui permettre d’apprendre. Regarder vivre une classe Montessori permet de bien se rendre compte que les enfants n’ont pas l’air de jouer. Concentrés et attentifs à ce qu’ils font, ils font très bien la différence entre le travail avec le matériel et le jeu réservé à d’autres moments. Cela n’enlève en rien le plaisir qu’ils éprouvent dans l’activité.
Considérer le matériel Montessori comme des jouets et le travail avec ce matériel comme du jeu semble donc être une mécompréhension de l’esprit même de cette pédagogie. Maria Montessori n’a pas envisagé sa méthode comme une façon de dissimuler l’apprentissage derrière la sensation de jouer et encore moins d’éloigner l’enfant de la notion de travail en lui laissant entendre que l’on apprend sans effort.
C’est une pédagogie exigeante qui attend de l’enfant de la méthode et de la discipline. Il doit être attentif, concentré, actif comme pour toute démarche d’apprentissage, que ce soit avec Montessori ou toute autre méthode si on attend un résultat.
Ce qui distingue Montessori c’est l’attrait du matériel si précisément pensé qu’il capte l’intérêt de l’enfant et l’entraine spontanément à la manipulation. La curiosité et le besoin naturel d’apprendre associés à des outils qui ont un sens mobilisent son énergie et focalisent son attention et sa concentration sans qu’il soit nécessaire de le contraindre. C’est pour cela que cette pédagogie peut reposer sur un principe d’autonomie. Une fois que le matériel lui aura été présenté, l’enfant pourra s’en servir et le manipuler de façon autonome, jusqu’à ce qu’il n’en ressente plus le besoin, ce qui signifiera qu’il aura extrait de l’outil tout ce qu’il avait à apprendre.
Il est vrai que Maria Montessori a affirmé que le jeu était le « travail de l’enfant ». Pour des raisons déjà évoquées, le jeu est effectivement l’un des piliers du développement mais cela ne signifie pas que tout est jeu. Maria Montessori n’a clairement pas dessiné des jouets et si l’enfant ne ressent pas la différence entre les phases de travail et les temps de jeu, c’est qu’il y a un problème dans l’approche de l’un ou de l’autre. Ces deux temps, auxquels s’ajoutent les phases de repos sont complémentaires et contribuent à équilibrer et rythmer sa vie.
Il serait temps donc que soit faite la différence entre le jeu et le travail et que l’on cesse de proposer sur le marché de nombreux jouets dont le nom est abusivement accolé à celui de Montessori. Ce comportement trompeur et contribue à cultiver l’inexacte perception que le grand public se fait de cette pédagogie. Tout au plus pourrait-on pour certains jeux, évoquer l’inspiration sans tenter de faire croire qu’il s’agit du matériel spécifique.